Compte rendu libre d’une conférence de François Sureau dans le cadre des Rencontres du Figaro. 19 octobre 2020
C’est beau un homme libre, une femme libre. Ce 19 octobre, salle Gaveau, c’est un homme libre qui vient embarquer dans sa vie passionnée un public curieux, attentif, conquis. Esprit scintillant, connaissances littéraires inépuisables, humour malicieux, François Sureau captive d’une voix solide mais veloutée. Sa parole offre un mélange rare d’abondance et de maîtrise, semblable à l’impétuosité domptée d’un cheval.
Après une introduction élogieuse d’Alexis Brezet, à laquelle il répond avec audace en citant le regretté Jean d’Ormesson, voilà l’homme débarrassé du protocole, prêt à se dévoiler, à se souvenir, à s’envoler.
Sur la lancée d’une semaine exceptionnelle, il est en pleine possession de son histoire. En quelques jours, il a tourné la page d’une étonnante carrière militaire au sein des états-majors de la Légion Étrangère, puis des armées, et fait son entrée à l’Académie Française en succédant à Max Gallo.
Premières évocations de sa famille, des deux hommes qui l’ont profondément inspiré : son grand-père et son père. La santé, le sens du service, l’engagement pour la nation, des sujets qui l’imprègnent dès l’enfance. François Sureau rend hommage avec pudeur à ce père dont il a tant appris, en s’inscrivant dans une lignée. Une aventure familiale, ça donne une structure personnelle. Passation, prolongement.
Par une coïncidence de vie, son père Claude Sureau décède le 24 octobre, quelques jours après cette conférence. Condoléances.
Au cours de son éducation, parmi les transmissions de ses ascendants qui se sont dévoués à la médecine et à l’armée, le service est une valeur fondatrice.
Puis vient la littérature pour incarner, exprimer les émotions. François Sureau nous conte alors comment il a commencé à voyager à l’improviste dans la bibliothèque paternelle en soulignant qu’une bibliothèque est infiniment personnelle. Seul celui qui l’a constituée peut naviguer dedans de façon fluide, tisser des correspondances, relier les auteurs, les époques, les styles. Lui, devant ces horizons de pages, commence son exploration.
Chateaubriand, entre vanité et honneur, reconnaissance d’un auteur qui a su écrire et vivre pleinement. Robinson Crusoé, choc émotionnel des 40 premières pages, Monte Christo et sa quête universelle, Apollinaire, …
François Sureau nous raconte alors un moment fondateur, dans ce temps de l’enfance, où l’on rêve d’être un autre. Lors de sa première communion, il vit une expérience décisive de foi, d’imprégnation, un accord avec soi, un instant de vérité qui ne cessera jamais d’être là après. Captation d’une vérité derrière une préfiguration du réel. Et si la suite de ce qu’il vit n’était qu’une tentative de retrouver cet état fulgurant ?
Quête perpétuelle d’un homme qui avance avec l’esprit d’un chrétien et l’attitude d’un agnostique.
« Tout ce qui est atteint est détruit » disait Montherlant.
Également avocat par son incroyable parcours, il constate qu’aujourd’hui l’émotion remplace le droit, alimentant une incertitude croissante.
Dans un délitement avancé, où trouver la force ? Pas seulement dans les idées, dans la culture aussi.
Il nous parle alors d’Hubert Germain, centenaire cette année, un des derniers compagnons de la libération toujours en vie, qui propage une approche positive de l’existence. Un combattant qui a connu l’effroyable dureté de la guerre mais a su colorer son chemin de vie avec amour et résilience.
Puis vient la politique.
Évocation de la fin du paysage de sa jeunesse, un paysage qui était partagé par tous, commun à la droite et à la gauche, qu’il a vu disparaître ces dix ou vingt dernières années.
La politique c’est mentir à juste titre. Certains peuvent entrer dans cet étau mental. Lui non. Et devoir penser collectivement, parfois contre ses propres principes. Décidément, non. Il cite avec malice un homme politique anglais.
« J’espère que vous n’allez pas voter avec votre conscience comme un voyou mais avec vos amis comme un gentleman »
Lorsqu’on lui demande quels sont ses derniers enthousiasmes littéraires, il répond que beaucoup d’auteurs d’aujourd’hui le laissent dans une indifférence de béton. Pour lui, la littérature a à voir avec la morale, c’est le lieu du conflit moral.
Parmi ses coups de cœur récents, il cite :
Hédi Kaddour – Waltenberg ou Les Prépondérants ?
Jean Rolin – Le Pont de Bezons
Philippe Sands – Retour à Lemberg – Une enquête sur les destins de quatre hommes avant et pendant la guerre mondiale. Deux d’entre eux inventeront le concept de crime contre l’humanité et de génocide.
Le mal n’est pas plus fort que le bien mais plus visible.
Des témoignages poignants sur le pardon et la renaissance à travers le destin fragmenté d’hommes connus à la Légion Étrangère.
Puis vient une réflexion sur la France, la conscience qu’il s’en est forgé parmi de nombreuses représentations, car au final, chacun a une vision personnelle de la France, pense François Sureau, pas du tout convaincu par cette grande étude sur l’identité nationale, conduite par des préfets il y a quelques années.
Lui voit la France comme une fille du hasard, du rêve et de l’indétermination, avec une culture dominante mais très variée et en même temps, un cœur secret qui unit, lien commun, mystérieux entre tous.
Il évoque une capacité d’accueil incroyable sans pour autant se faire d’illusion sur certaines impostures intellectuelles. Ou encore, cette préoccupation récurrente de la droite pour l’ethnicité et de la gauche pour les droits.
Puis, il y a cette étincelle intérieure, la transmission d’un flambeau qui ne doit pas s’éteindre. Notre génie français est de combattre les méchants en respectant la liberté de tous. La liberté, patrimoine historique.
Terminons avec cette belle pensée de Malraux que François Sureau affectionne particulièrement. C’est vrai qu’elle lui va bien.
« Vivre, c’est transformer en conscience une expérience aussi vaste que possible »
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